05-06-2014  (4036 ) Categoria: Articles

Els Hospitalers a Niça

Les origines de l’Ordre.

DĂšs la fin du IX° siĂšcle, alors que depuis cinq cents ans dĂ©jĂ  les pĂšlerins se rendent aux Lieux Saints, des moines et des marchands d’Amalfi obtiennent du Calife la concession, dans le quartier latin de JĂ©rusalem, d’un terrain situĂ© Ă  proximitĂ© du Saint-SĂ©pulcre, Ă  l’emplacement actuel de la mosquĂ©e d’Omar. Ils y Ă©difient une Ă©glise, un couvent et un hospice oĂč des moines, venus d’Italie, prodiguent des soins aux pĂšlerins et aux malades, tant chrĂ©tiens qu’autochtones.

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Statue de Gérard Tenque, église de JonquiÚres (Martigues)

La conquĂȘte de JĂ©rusalem, en 1099, lors de la croisade des barons, dirigĂ©e par Godefroy de Bouillon, conduit Ă  la fondation du royaume latin de JĂ©rusalem, qui garantit l’accĂšs au tombeau du Christ. L’afflux de pĂšlerins est alors tel que, pour assurer leur sĂ©curitĂ©, une partie des frĂšres hospitaliers, sous l’autoritĂ© du bienheureux GĂ©rard Tenque, originaire, dit-on, de Martigues en Provence (et dont les reliques sont conservĂ©es Ă  Manosque), deviennent « moines soldats », et fondent l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean de JĂ©rusalem dont la rĂšgle sera approuvĂ©e par le pape Pascal II en 1113.

Pour les Italiens, qui revendiquent aussi ses origines, le frĂšre GĂ©rard serait nĂ© dans le village de Tonco, non loin d’Asti. Mais cette croyance, tout comme d’ailleurs pour le nom de Tenque, proviendrait d’une mauvaise transcription de la phrase latine « Gerardus tunc Hospitale regebat » dans laquelle l’adverbe "tunc" ("alors" en Français) aurait Ă©tĂ© traduit par Tonco. Pour la petite histoire, les dĂ©pliants touristiques de Tonco continuent Ă  perpĂ©tuer cette croyance. Il n’en reste pas moins que le PiĂ©mont, et la rĂ©gion d’Asti en particulier, pourtant dĂ©pourvue de tout accĂšs Ă  la mer, tiendront un rĂŽle important dans l’histoire de l’Ordre, en lui fournissant pas moins de 43 ou 44 amiraux, sur un total de 240, soit plus de 20%.

Afin d’ĂȘtre reconnaissables, les chevaliers Hospitaliers portaient une soubreveste rouge ou noire, Ă  la croix latine blanche.

 

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Prise de Jérusalem par les Croisés, le 15 juillet 1099
Peinture de Emil Signol, Musée du Chùteau, Versailles

La naissance de l’Ordre

En raison de l’efficacitĂ© de son action, l’Ordre obtient, dans le systĂšme fĂ©odal de l’époque, d’importants privilĂšges qui sont Ă  l’origine de sa souverainetĂ© et reçoit en Europe de nombreuses donations qui ont constituĂ© un rĂ©seau de commanderies, source de moyens permettant l’entretien de ses missions. Celles-ci sont constituĂ©es de terres offertes ou lĂ©guĂ©es Ă  l’Ordre par de gĂ©nĂ©reux donateurs, et confiĂ©es en commande Ă  des Commandeurs qui ont l’obligation d’accueillir et de soigner les pĂšlerins et malades nĂ©cessiteux dans des dĂ©pendances amĂ©nagĂ©es en auberges et dispensaires.

A Nice, son Ă©tablissement fut facilitĂ© par l’évĂȘque Pierre qui, en 1135, donna au lĂ©gat Arnald une terre « ad honorem Dei et Jehrosolimitani ospitalis » et, en 1141, une Ă©glise au Plan de Gast, Ă  RoquebilliĂšre, dans la vallĂ©e de la VĂ©subie (Cartulaire de l’ancienne cathĂ©drale de Nice, ch. 34 et 52). A l’origine probablement une fondation templiĂšre, l’église Saint-Michel de Gast sera en grande partie reconstruite en 1533. C’est la plus importante Ă©glise qui ait fait partie des biens de l’Ordre dans les Alpes-Maritimes.

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L’église Saint-Michel de Gast, Ă  RoquebilliĂšre (A.-M.)

En 1163, Guillaume Rufus donne Ă  l’église de Saint-Jean quatre setiers de terre Ă  Nice, au quartier Longchamp, prĂšs du lieu dĂ©nommĂ© Paradis et en 1185, les consuls Pierre et Guigues Ricardi et Foulque Bernardi cĂšdent Ă  l’hĂŽpital de Saint-Jean, pour le prix de 75 livres royales, une terre au Var.


La crĂ©ation d’une organisation hospitaliĂšre internationale

Le 2 octobre 1187, aprĂšs d’ñpres combats au cours desquels le grand-maĂźtre Roger des Moulins tombe glorieusement Ă  la tĂȘte de ses chevaliers, Saladin enlĂšve JĂ©rusalem aux chrĂ©tiens. Les hospitaliers se replient alors sur Tyr puis sur Margat, actuellement en Syrie, puis sur Acre, devenu Saint-Jean d’Acre oĂč ils Ă©difient un hĂŽpital semblable Ă  celui de JĂ©rusalem.

Un siĂšcle plus tard, en 1291, les Sarrasins s’emparent de Saint-Jean d’Acre, dernier bastion chrĂ©tien en Terre Sainte. GrĂące Ă  leurs galĂšres ancrĂ©es dans le port, les Hospitaliers peuvent gagner l’üle de Chypre. Afin de rester Ă  proximitĂ© de la Terre Sainte pour en dĂ©fendre l’accĂšs, protĂ©ger les pĂšlerins et assurer la libre circulation en MĂ©diterranĂ©e, ils dĂ©cident de s’installer sur l’üle de Rhodes qu’ils enlĂšvent aux pirates ottomans en 1308 (ou 1310).

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BanniĂšre de Provence

DĂ©sormais maĂźtres des lieux, l’Ordre instaure une rĂ©publique aristocratique dirigĂ©e par le grand-maĂźtre, assistĂ© du Conseil, frappant monnaie et entretenant des relations diplomatiques avec d’autres Ă©tats. Dans le mĂȘme temps il organise l’administration de ses biens en Europe en regroupant ses commanderies et prieurĂ©s Ă  l’intĂ©rieur de huit rĂ©gions appelĂ©es Langues : ce sont celles de Provence, Auvergne, France, Italie, Aragon-Navarre, Castille-LĂ©on-Portugal, Angleterre et Allemagne, cette derniĂšre englobant tous les Ă©tats d’Europe centrale.

L’ensemble se subdivise en vingt-deux prieurĂ©s et en dix-neuf bailliages, le tout comprenant quelques six cents commanderies. Les revenus produits par les exploitations assurent l’entretien des domaines, les bĂ©nĂ©fices sont collectĂ©s pour le trĂ©sor gĂ©nĂ©ral de l’Ordre. La langue de Provence, la plus ancienne, fut aussi la plus reprĂ©sentĂ©e dans l’Ordre. Elle possĂ©dait deux grands prieurĂ©s, Saint Gilles et Toulouse, qui regroupaient plus de soixante commanderies Ă  la fin du XVIII° siĂšcle. Chaque commanderie a l’obligation d’accueillir et de soigner les pĂšlerins et malades nĂ©cessiteux dans des dĂ©pendances amĂ©nagĂ©es en auberges et dispensaires.

Jusqu’en 1388, sous la domination des Angevins, le comtĂ© de Nice est rattachĂ© Ă  la langue de Provence. Mais aprĂšs la dĂ©dition Ă  la Savoie, Nice passe Ă  la langue d’Italie dont le « pilier » a la charge de Grand MarĂ©chal, commandant des forces terrestres et est responsable de la dĂ©fense de Rhodes.

En 1312, cinq ans aprĂšs la confiscation de leurs biens par le roi de France Philippe le Bel et l’arrestation des Templiers, le pape ClĂ©ment V dissout l’Ordre du Temple par la bulle Ad providam Christi Vicari. Tous les biens templiers sont attribuĂ©s Ă  l’Ordre de Saint-Jean de JĂ©rusalem, pour compenser les pertes qu’il a subi en Terre Sainte, ce qui lui permet d’augmenter considĂ©rablement le nombre de ses commanderies en France.

Reconvertis en marins, les Hospitaliers vont, pendant deux siĂšcles, dĂ©velopper une puissante flotte de galĂšres et traquer l’ennemi partout oĂč il se trouvait. TrĂšs redoutĂ©es, les « galĂšres de la Religion » vont Ă©cumer sans relĂąche la MĂ©diterranĂ©e, en vĂ©ritables « gendarmes » de la MĂ©diterranĂ©e. Mais elles s’adonnaient aussi volontiers Ă  la guerre de course, attaquant les bateaux de commerce (parfois chrĂ©tiens) dont elles s’appropriaient les marchandises et capturaient les Ă©quipages pour les enrĂŽler sur leurs galĂšres.

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Galùre de l’Ordre de Malte

Avec l’avĂšnement de Mehmed II Ă  la tĂȘte de l’Empire ottoman en 1453 et la prise de Constantinople qui porte le coup de grĂące Ă  l’Empire chrĂ©tien d’Orient, les Turcs consacrent alors tous leurs efforts maritimes contre les Hospitaliers. A l’aube du 23 avril 1480, cent cinquante bĂątiments turcs embarquant cent mille hommes se prĂ©sentent au large de l’üle de Rhodes, dĂ©fendue par le grand-maĂźtre Pierre d’Aubusson. AprĂšs quatre mois de siĂšge, ayant perdu prĂšs de vingt-cinq mille hommes, les Turcs sont battus par une flotte hispano-napolitaine venue au secours de Rhodes.

 

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DĂ©tail d’une miniature illustrant le manuscrit de Caoursin consacrĂ© au siĂšge de Rhodes
(c) BN - Caoursin, oeuvres, Ms latins

 


Un prince turc Ă  Villefranche

MalgrĂ© cet Ă©chec, le sultan Mehmed II, Ă  la fin de sa vie, Ă©tait Ă  la tĂȘte d’un immense empire dont la capitale, Constantinople, avait maintenant pris le nom d’Istanbul. Mehmed II avait plusieurs fils dont Bayazid (Bazajet) et Djem, son cadet, dont il avait dĂ©cidĂ© qu’il lui succĂšderait. Mais il meurt le 3 mai 1481, sans que soit rĂ©glĂ© sa succession.

Djem et Bayazid entrĂšrent alors dans une guerre fratricide pour la conquĂȘte du pouvoir. Le 22 juin, lors de la bataille opposant les deux armĂ©es, celle de Djem fut dĂ©faite, l’un des siens l’ayant trahi. Bayazid proposa Ă  Djem des arrangements financiers s’il renonçait au trĂŽne, ce qu’il refusa. Sa vie dĂ©sormais en danger, Djem dut fuir et demanda aide aux chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers de Rhodes, espĂ©rant trouver grĂące Ă  eux un appui auprĂšs du roi de France, Louis XI, contre Bayazid.

Les chevaliers de Rhodes accueillirent avec bienveillance la requĂȘte de Djem, lui faisant parvenir un sauf-conduit revĂȘtu du sceau du grand maĂźtre, Pierre d’Aubusson, qui le reçut avec toute la considĂ©ration due Ă  son rang et le logĂšrent en vrai souverain.

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Le grand maütre Pierre d’Aubusson reçoit le prince Djem à sa table

Bayazid comprit qu’il fallait traiter avec les Hospitaliers et Djem se retrouva au centre d’un marchĂ© de dupes : en mĂȘme temps que le grand maĂźtre signait un pacte secret avec le sultan, il en proposait un autre, Ă©galement secret, Ă  Djem, en vue de l’éventualitĂ© de son avĂšnement au trĂŽne. Bayazid promettait de verser chaque annĂ©e aux Hospitaliers 35 000 ducats vĂ©nitiens et 10 000 ducats pour les dommages et prĂ©judices occasionnĂ©s par son pĂšre Ă  la Commanderie. Il s’engageait en outre envers l’Ordre d’ouvrir Ă  ses navires tous les ports de la Turquie, Ă  rendre la libertĂ©, sans rançon, chaque annĂ©e, Ă  300 captifs. De leur cĂŽtĂ©, les chevaliers s’engagent Ă  veiller Ă  ce qu’aucun complot ne soit ourdi contre Bayazid. Une fois en possession de ces deux traitĂ©s, le grand maĂźtre ne songea plus qu’à mettre en lieu sĂ»r son hĂŽte, devenu son prisonnier. Il lui reprĂ©senta qu’il courait trop de dangers Ă  Rhodes et le pressa de se laisser conduire en Europe, jusqu’au moment oĂč il pourrait efficacement conquĂ©rir l’Empire. Le prince musulman, ignorant cette combinaison, fut embarquĂ© en grande pompe le 1er septembre 1482, Ă  bord de la flotte des Chevaliers et dĂ©barqua Ă  Villefranche le 15 octobre, en compagnie du prince de Lombardie, Merlo di Prozzalco, du grand prieur d’Auvergne, Guy de Blanchefort, futur grand maĂźtre de l’Ordre et de quelques officiers.

Ce fut pour la population, Ă©crit Buffon, un spectacle curieux et nouveau de voir cet illustre captif, accompagnĂ© d’une foule d’esclaves, Ă©taler le faste du luxe oriental. On pourra en juger par une chronique manuscrite de Cuneo, retranscrite par Gioffredo : « au dĂ©but de cette annĂ©e [1783], on put voir Ă  Cuneo, venant de Nice, le sultan Giaume, fils de feu le Grand Seigneur Mahomet II, accompagnĂ© de 40 cavaliers turcs et d’autant de cavaliers de l’Ordre de Saint-Jean de JĂ©rusalem qui le tenaient sous leur protection. De lĂ , en passant par Savigliano, il se rendit auprĂšs du roi de France ou du duc de Savoie. »

Quoique enfermĂ© dans le chĂąteau de Nice, on lui laissa une certaine libertĂ©. SteinbrĂŒck, dans son Recueil d’Etudes sur Nice, p. 251, indique que ce prince, qui se piquait de littĂ©rature, composa, pendant son sĂ©jour, deux vers turcs, oĂč il fait allusion Ă  la beautĂ© du climat et Ă  sa qualitĂ© de prisonnier. La traduction en serait la suivante : « Ah ! quelle ville admirable que Nice. On y demeure en dĂ©pit du caprice » ou encore : « Nice dĂ©licieuse au sĂ©jour tout charmant, on te quitte Ă  regret, peut-on faire autrement ? »

Mais Djem ne restera pas longtemps Ă  Nice car commence pour lui un long exil. PrĂ©textant que la peste s’était dĂ©clarĂ©e dans la rĂ©gion, les Chevaliers de Rhodes emmenĂšrent l’infortunĂ© prĂ©tendant Ă  Rumilly, en Savoie, puis dans la Marche qui, Ă  l’écart des grandes voies de communication, apparaissait mieux adaptĂ©e Ă  sa sĂ©curitĂ© aux yeux de Pierre d’Aubusson. Ce dernier confia donc Ă  son neveu, Guy de Blanchefort, le soin de conduire Djem Ă  Bourganeuf (Creuse), siĂšge du grand prieurĂ© de la Langue d’Auvergne, oĂč il vĂ©cut jusqu’en 1489.

Le prince Djem est dĂ©crit « comme d’aspect physique imposant et royal, trĂšs savant dans les lettres anciennes et prompt aux rĂ©parties spirituelles et mordantes ». Durant son sĂ©jour Ă  Bourganeuf, il aurait eu une idylle avec la niĂšce de Guy de Blanchefort, HĂ©lĂšne de Sassenage, que son physique et ses talents de poĂšte ne laissaient pas indiffĂ©rente mais aussi avec sa fille, Marie de Blanchefort, laquelle aurait Ă©tĂ© empoisonnĂ©e par Almeida, la favorite jalouse du sultan, qui se pendra Ă  l’une des fenĂȘtres du chĂąteau.

L’exil de Djem se poursuivra en 1488, en Italie, auprĂšs du Pape Innocent VIII qui envisageait de lancer une nouvelle croisade contre les Turcs et qui espĂ©rait utiliser Djem pour lutter contre son frĂšre Bajazet. AprĂšs accord avec le roi de France Charles VIII, Pierre d’Aubusson accepte de livrer son prisonnier et envoie un dĂ©tachement de 200 hommes pour protĂ©ger le prĂ©cieux transfert. Le 10 novembre, l’escorte quitte Bourganeuf pour Toulon. En reconnaissance, Pierre d’Aubusson reçut du pape le chapeau de cardinal et le titre de lĂ©gat-gĂ©nĂ©ral du Saint-SiĂšge en Asie.

EscortĂ© de 400 hommes et autant de chevaux, Djem s’embarque Ă  Toulon Ă  bord d’une galĂšre des chevaliers Ă  destination de Civita-Vecchia, port de Rome, dans les Etats Pontificaux. Reçu en mars 1489, avec les honneurs dus Ă  un souverain, le pape lui accorde un appartement au Vatican. Innocent VIII ayant placĂ© sa piĂšce maĂźtresse sur l’échiquier politique, va pouvoir rĂ©aliser son projet de croisade. Il Ă©crit aux souverains europĂ©ens que le prince prĂ©tendant, s’il recouvre son trĂŽne, retirera les Turcs de Constantinople et des rives asiatiques. Ce projet dĂ©cide Bajazet Ă  supprimer son frĂšre renĂ©gat par l’intermĂ©diaire de Cristofano de Castrano, dit Magrino, qui devait empoisonner l’eau de la fontaine du BelvĂ©dĂšre, destinĂ©e Ă  la table de Djem. Le projet fut Ă©ventĂ© en mai 1490 et Magrino fut pendu.

En 1492, Ă  Innocent VIII succĂšde Alexandre VI Borgia, peu fait pour ĂȘtre pape, Ă  la vĂ©ritĂ©. Il entretient d’excellentes relations avec Djem, sort Ă  cheval avec lui dans la campagne romaine, l’accepte dans les processions pontificales, vĂȘtu Ă  l’orientale. Ce nouveau pape ambitieux et peu religieux abandonne le projet de croisade europĂ©enne qui est repris par le roi Charles VIII. Ce dernier, venant revendiquer un hĂ©ritage lointain, dĂ©butait victorieusement la sĂ©rie des guerres d’Italie et souhaitait Ă  son tour dĂ©tenir Djem avant de s’embarquer vers Constantinople. Devant les victoires françaises, Alexandre VI nĂ©gocie secrĂštement avec Bajazet la vie de l’infortunĂ© Djem. De sombres tractations ont lieu dont une (qui n’est pas admise par tous les historiens) qui aboutit « à enlever Djem aux misĂšres de cette terre » moyennant 300 000 ducats. Toujours est-il que Charles VIII, entrĂ© en vainqueur Ă  Rome le 31 dĂ©cembre 1494, devenait le nouveau maĂźtre de Djem.

Peu de temps aprĂšs, poursuivant son entreprise, Charles VIII se dirige vers Naples, avec son prisonnier, mais pas pour longtemps. En effet, l’ancien captif de Bourganeuf n’a Ă©tĂ© remis aux Français que pour mourir mystĂ©rieusement. On connaĂźt la rĂ©putation (en partie justifiĂ©e) des Borgia pour les crimes au poison, au point que Commynes n’hĂ©site pas Ă  affirmer que Djem a Ă©tĂ© « baillĂ© empoisonné » ! De lĂ  Ă  accuser indirectement le pape, son fils CĂ©sar Borgia qui a escortĂ© un temps le prince, un envoyĂ© de Bajazet ou le barbier Mustafa qui aurait empoisonnĂ© son rasoir, il n’y a qu’un pas ! Les suppositions allĂšrent, et vont toujours bon train. Peut-ĂȘtre n’est-il mort que des suites de sa captivité ? Djem est mort en 1495, Ă  trente-six ans et son frĂšre Bajazet est dĂ©sormais dĂ©barrassĂ© de son encombrant rival, d’autant que la croisade chrĂ©tienne est tombĂ©e Ă  l’eau temporairement. Notons que le sultan mourra empoisonnĂ© par son fils SĂ©lim le Cruel en 1512. Juste retour des choses !


Les caraques de l’Ordre

L’ordre de Saint Jean de JĂ©rusalem a possĂ©dĂ© plusieurs navires connus sous le nom de Grande Caraque ou de Grande Nave (la Nau de Rodi) dont le Saint-Jean Baptiste, mentionnĂ© pour la premiĂšre fois en 1482. Pour sa part, Buffon Ă©crit que c’est Ă  Nice, en 1489 que « fut construit, pour les chevaliers de Rhodes, le Saint-Jean qui, Ă  cette Ă©poque Ă©tait le plus grand navire connu. »

La Santa-Maria

Le 13 septembre 1507, le chevalier Jacques de Gastinau, commandeur du Limousin, qui avait pris le commandement du Saint-Jean Baptiste s’empara par la ruse du navire amiral du sultan d’Egypte, rĂ©putĂ© imprenable. RebaptisĂ©e Santa-Maria, elle devint le navire amiral de l’Ordre et remplacement de la Grande Nave jugĂ©e trop vieille.

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La Santa Maria
Prise de la Grande caraque, gravure, XIXe siĂšcle. MusĂ©e de l’Ordre de Malte, Gençay, chĂąteau de la Roche.
La Reine des Mers embarque 1 200 hommes d’équipage encadrĂ©s par 1 000 soldats chargĂ©s de la dĂ©fense. Ce quatre mĂąts dotĂ© de sept ponts dĂ©fendus par 120 canons est entiĂšrement construit en bois de chĂȘne, de cĂšdre et de teck, chevillĂ© de cuivre. Aussi fin marin que bon stratĂšge, de Gastinau s’approche du grand bĂątiment profitant d’un office religieux sur le pont de son bĂątiment qu’il laisse dĂ©river. Il rejoint ensuite ses compagnons limousins dotĂ©s comme lui d’un solide appĂ©tit et d’une gaillarde humeur pour dĂ©guster un grand bol de vin de Chypre cuit avec des Ă©pices.

MalgrĂ© l’approche de la grande caraque, le Commandeur fait rĂ©citer une courte priĂšre aux chevaliers et demande au chapelain du navire, interloquĂ©, de donner l’absolution. AprĂšs quelques palabres, le chapelain accepte d’outrepasser ses droits. Le bĂątiment des chevaliers est parvenu Ă  proximitĂ© de la caraque qui poursuit sa route sans prĂȘter attention au navire de l’Ordre. Celui-ci manƓuvre au plus prĂšs et coupe la route du grand bĂątiment l’obligeant Ă  ralentir. Le Commandeur dĂ©lĂšgue deux ambassades successives auprĂšs du capitaine de la Caraque, surtout pour attĂ©nuer sa vigilance. Lors du deuxiĂšme rendez vous, celui-ci est stupĂ©fait d’entendre de Gastinau lui demander de se rendre. Bien entendu, il refuse et couvre les chevaliers de sarcasmes et d’injures. Etant au plus prĂšs du gigantesque bateau sous les lignes de ses canons, les chevaliers dĂ©butent une canonnade, tuant net le capitaine turc. Profitant de la surprise et de la confusion les chevaliers lancent les grappins d’abordage. PaniquĂ©s, les marins Ă©gyptiens prĂ©fĂšrent se rendre plutĂŽt que d’ĂȘtre taillĂ©s en piĂšces, et, sous bonne garde, amĂšnent leur bĂątiment et sa trĂšs riche cargaison dans le port de Rhodes. »

Moins romancĂ© est le rĂ©cit qu’en fait Joseph Muscat : Gastinau donne l’ordre Ă  tous les canons d’un seul bord de tirer ensemble sur le navire maure. Le bruit de la canonnade fut Ă  lui seul suffisant pour effrayer les marins ennemis qui cessĂšrent le combat aussitĂŽt.

RĂ©armĂ©e par les chevaliers et rebaptisĂ©e Santa Maria, cette nouvelle Grande Nave fit longtemps rĂ©gner la terreur sur la mer. Elle servit de quartier gĂ©nĂ©ral Ă  l’Ordre pendant ses pĂ©rĂ©grinations Ă  travers toute la MĂ©diterranĂ©e, aprĂšs la chute de Rhodes et fut dĂ©sarmĂ©e peu aprĂšs son arrivĂ©e Ă  Malte. Elle fut alors utilisĂ©e comme magasin et pour hĂ©berger les esclaves dont les chevaliers s’étaient emparĂ©s Ă  Modon

La Santa Maria connut une fin tragique : aprĂšs qu’un jeune esclave soit montĂ© clandestinement Ă  bord pour dĂ©rober de la poudre Ă  canon, lorsque soudain une violente explosion se produisit dans le magasin Ă  poudre. Le pont entier avec les esclaves qui se trouvaient Ă  bord fut emportĂ© jusqu’au milieu du port et que le reste de la coque s’embrasa. Plusieurs des canons se mirent Ă  tirer d’eux-mĂȘmes leurs boulets qui vinrent semer la terreur sur les bateaux alentours. Pour Ă©viter une plus grande catastrophe, un puissant canon du chĂąteau Saint-Ange tenta de la dĂ©truire, sans succĂšs. Il fallut la remorquer au large pour qu’elle finisse par couler.

La Santa Anna

La caraque Sainte-Anne, destinĂ©e Ă  remplacer la Santa Maria, Ă©tait un navire encore plus puissant et de taille bien plus importante. Ironie de l’histoire, elle fut lancĂ©e Ă  Nice le 21 dĂ©cembre 1522, le jour mĂȘme de la prise de Rhodes par les Turcs du sultan Soliman qui en chassent les chevaliers de l’ordre de Saint-Jean de JĂ©rusalem[1]

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La Santa Anna
Dessin de la « grande caraque » , anonyme, XVIIIe siÚcle, 0,38 x 0,24 cm,
Aix-en -Provence, Cité du Livre, BibliothÚque Méjanes, Ms. 1307

Cette caraque, avec ses six ponts, fut le navire le plus important jamais possĂ©dĂ© par l’Ordre et Ă©tait rĂ©putĂ© comme le plus merveilleux navire de son temps. Bien que ses deux ponts infĂ©rieurs soient situĂ©s en dessous de la ligne de flottaison, le sommet du mĂąt principal d’une galĂšre n’arrivait qu’à un mĂštre en dessous de sa poupe. Son grand mĂąt Ă©tait si Ă©norme qu’il fallait six hommes pour en faire le tour. A bord se trouvait une chapelle spacieuse, dont certains panneaux qui la dĂ©coraient sont encore visibles dans la galerie des musiciens du palais du grand maĂźtre de l’Ordre Ă  La Valette[2]. Sa salle de rĂ©ception et les quartiers oĂč dormaient les chevaliers Ă©taient si vastes et confortables qu’ils ressemblaient aux piĂšces similaires d’un palais royal[3]. Tout autour des galeries de la poupe il y avait un petit jardin avec des arbres et des plantes et oĂč les chevaliers pouvaient prendre quelque temps de repos. Elle possĂ©dait un moulin que l’on tournait Ă  la main et un four oĂč le pain Ă©tait cuit chaque jour - chose inconnue sur tous les autres navires de l’époque.

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Un navire de cette taille, avec un Ă©quipage de 500 hommes, nĂ©cessitait plusieurs charpentiers Ă  bord. De mĂȘme qu’une forge qui fonctionnait jour et nuit occupait trois forgerons. Il y avait suffisamment de nourriture et de boisson Ă  bord pour pouvoir rester six mois en mer sans avoir Ă  se ravitailler. Contrairement Ă  ce que l’on pourrait penser, la Sainte-Anne Ă©tait Ă  la fois rapide et trĂšs manƓuvrante. Elle Ă©tait parfaitement adaptĂ©e aux vents faibles et changeants de la MĂ©diterranĂ©e.

La Sainte Anne possĂ©dait 50 gros canons Ă  bord et de nombreux plus petits rĂ©partis tout autour de la coque. Son artillerie Ă©tait ce qui se faisait de mieux[4]. Pour servir ces canons il y avait, entre autres, les bombardiers maltais qui avaient acquis une solide rĂ©putation pour leur adresse. La Sainte Anne pouvait affronter jusqu’à 50 galĂšres Ă  la fois[5].

Cette caraque Ă©tait recouverte de plomb en dessous de la ligne de flottaison, ce qui rendait la coque parfaitement Ă©tanche[6], une technique rĂ©volutionnaire jamais encore imaginĂ©e par les autres puissances maritimes. Ainsi, les Anglais ne commenceront Ă  revĂȘtir leurs navires de cuivre que seulement 200 ans plus tard[7]. Les bordĂ©s de la Sainte Anne Ă©taient si Ă©pais qu’ils ne furent jamais percĂ©s par un boulet ennemi[8]. Le capitaine Windus, de l’escadre anglaise stationnĂ©e aux Indes, signale Ă  l’Institut archĂ©ologique de Londres, le 7 fĂ©vrier 1862, que la caraque Sainte Anne des chevaliers de Malte Ă©tait le premier navire de guerre cuirassĂ© pour rĂ©sister aux projectiles de son Ă©poque, donc prĂ©cĂ©dant de deux siĂšcles l’adoption moderne du fer et de l’acier. La Sainte Anne, dit-il, Ă©tait couverte de mĂ©tal et parfaitement rĂ©sistante aux tirs de canons. Apparemment, le capitaine Windus a quelque peu exagĂ©rĂ© sa description de la caraque ou alors a mal interprĂ©tĂ© Bosio qui a Ă©crit qu’elle Ă©tait revĂȘtue de plomb uniquement pour la rendre Ă©tanche Ă  l’eau et non aux boulets. Si tel avait Ă©tĂ© le cas, les chevaliers auraient revĂȘtu toute la coque[9]. Ce qui ne fait aucun doute c’est qu’il n’y avait Ă  l’époque aucun navire capable de l’affronter et encore moins de la couler. La Sainte Anne devait procurer une impression extraordinaire lorsqu’elle rentrait au port. Ses mats s’élevaient jusqu’aux bastions tandis que ses voiles, lorsqu’elles n’étaient pas ferlĂ©es recouvraient et cachaient le fort Saint Ange. Ses sculptures peintes[10] et une multitude de drapeaux de toutes formes, tailles et couleurs offraient un spectacle exceptionnel tandis qu’un orchestre jouait Ă  bord pour annoncer une nouvelle campagne victorieuse[11].

La Sainte Anne disposait de grandes embarcations avec 15 bancs de rameurs et cinq autres plus petites. Toutes, Ă  l’exception d’une des deux grandes Ă©taient embarquĂ©es Ă  bord. L’autre grande embarcation, probablement une brigantine, Ă©tait remorquĂ©e. Ces bateaux, brigantines ou caĂŻques, Ă©taient souvent utilisĂ©s pour attaquer les galiotes turques. Les brigantines Ă©taient suffisamment grandes pour embarquer un demi-canon Ă  la poupe et deux Ă  la proue. Un navire de ce type prit part Ă  l’attaque de La Goulette[12].

Personne n’aurait pu imaginer qu’un navire aussi majestueux, la merveille de l’Occident, aurait eu une carriĂšre aussi courte. En 1540, 18 ans aprĂšs son lancement, le Grand-maĂźtre Juan d’Omedes ordonna de dĂ©monter ses canons et tout son armement et la navire lui-mĂȘme fut laissĂ© Ă  l’abandon[13].

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La Santa Anna
(c) SociĂ©tĂ© de l’Histoire et du Patrimoine de l’Ordre de Malte (Paris).

Les campagnes victorieuses de la Sainte Anne apportĂšrent beaucoup d’honneurs Ă  son capitaine, Fra Francesco de Cleremont. Ce qui avait rendu d’Omedes jaloux, au point de vouloir dĂ©truire de Cleremont en lui retirant son bateau. C’est ainsi que d’Omedes ordonna la construction d’une nouvelle caraque pour un autre capitaine. En fait aucun autre navire de ce type ne fut construit car remplacĂ© par deux galions. Tous les chroniqueurs s’accordent pour dire que d’Omedes Ă©tait dĂ©testĂ© par tout le monde, aussi bien les Maltais que les chevaliers eux-mĂȘmes. C’était un vieillard colĂ©rique et orgueilleux, sans scrupules et un vĂ©ritable psychopathe. Cependant, l’Ordre connut Ă  cette Ă©poque des difficultĂ©s financiĂšres due Ă  la confiscation de ses biens en Angleterre par Henry VIII et l’abandon de la Sainte Anne apparut comme une mesure d’économie. Le navire Ă©tait aussi trop grand pour pĂ©nĂ©trer dans le port de Tripoli, autre possession de l’Ordre et la dĂ©cision de retirer la Sainte Anne fut prise lors du chapitre gĂ©nĂ©ral de 1540[14].


Notes
[1] G. Bosio, 22. Historia della Sacra Religione et Illustrissima Militia di S. Giovanni Giersolmitano, Venise, 1695. Il y avait tellement de feux et de fumĂ©es sur le chantier de la Sainte Anne qu’aucun des ouvriers qui travaillait Ă  bord ne fut touchĂ© par l’épidĂ©mie qui sĂ©vissait alors dans la ville.
[2] Ibid., 150. Voir aussi E.W. Schermerhorn, Malta of the Knights (Surrey, 1929), 113.
[3] P.J. Taurisano, Antologia del Mare, Dalle opere del P. Guglielmonti (Florence, 1913), 198.
[4] Bosio, iii, 150.
[5] Ibid., 114.
[6] Ibid., 150.
[7] F.C. Bowen, From Carrack to Clipper (London, 1948), 20.
[8] Bosio, iii, 150.
[9] Les Byzantins utilisaient un revĂȘtement de plomb pour protĂ©ger les coques contre les attaques des tarets et la pourriture : voir H. Frost, Under the Mediterranean (London, 1963), 234, 235.
[10] Schermerhorn, 113.
[11] Bosio, iii, 150.
[12] Bosio, iii, 150.
[13] Bosio, iii, 150.
[14] Ibid., 254. Voir aussi Muscat, La Caraque, pp. 15-28.


La chute de Rhodes

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Philippe Villiers de l’Isle-Adam

En 1520 Soliman accĂšde Ă  la tĂȘte du vaste Empire Ottoman lĂ©guĂ© par SĂ©lim Ier. Quelques mois plus tard, Philippe Villiers de l’Isle-Adam est Ă©lu grand maĂźtre de l’Ordre contre le chancelier et grand prieur de la langue de Castille, AndrĂ© d’Amaral. Battu, ce dernier aurait conçu de se venger en livrant Rhodes Ă  Soliman. En se rendant Ă  Rhodes, au dĂ©part de Marseille, le nouveau grand maĂźtre fait une escale Ă  Villefranche, Ă  bord de la grande caraque de l’Ordre.



Philippe de Villiers de l’Isle-Adam, fils cadet sans grand avenir d’une famille noble du comtĂ© de Beaumont, au nord de Paris, est admis Ă  dix huit ans dans l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de JĂ©rusalem. Elu en 1519 grand prieur de France et en 1521, grand maĂźtre de l’Ordre, il est le hĂ©ros de toute la chrĂ©tientĂ© lorsque aprĂšs un terrible siĂšge par les Ottomans de plus de six mois, abandonnĂ© par toute l’Europe, il quitte Rhodes en 1523 avec le reste de son armĂ©e sous le regard admiratif de son vainqueur Soliman le Magnifique. AprĂšs avoir jouĂ© un rĂŽle dĂ©cisif dans la libĂ©ration de François Ier, emprisonnĂ© en Espagne aprĂšs la dĂ©faite de Pavie en 1529, Philippe de Villiers de l’Isle-Adam obtient l’annĂ©e suivante de l’empereur Charles Quint le droit de gouverner en pleine suzerainetĂ© l’Ile de Malte.

 


Le 28 juin 1522, reprenant le plan de SĂ©lim Ier, dit le FĂ©roce, Soliman le Magnifique se prĂ©senta devant Rhodes Ă  la tĂȘte de 200 000 hommes qu’il avait fait embarquer Ă  bord de 400 bĂątiments. De son cĂŽtĂ© Villiers de l’Isle-Adam ne disposait que de 600 chevaliers et 4 500 Ă©cuyers et servants d’arme. AprĂšs cinq mois d’attaques incessantes, Soliman s’apprĂȘtait Ă  lever le siĂšge, aprĂšs avoir sacrifiĂ© quatre-vingt mille hommes et lancĂ© sur la ville quelque quatre-vingt mille boulets, quand la trahison du grand chancelier d’Amaral lui permit d’emporter la place. Contraint de capituler, le grand maĂźtre Villiers de l’Isle-Adam fit sauter les Ă©glises afin qu’elles ne soient pas profanĂ©es, puis envoya le chevalier Petrucci nĂ©gocier avec Soliman.

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Soliman le Magnifique

L’hĂ©roĂŻsme des Hospitaliers de Saint-Jean et des insulaires avait tant forcĂ© l’admiration du sultan qu’il leur accorda les honneurs de la guerre et les laissa quitter l’üle.

 

Lorsqu’il succĂšde Ă  son pĂšre, en 1520, Soliman (Sulayman) n’a que 25 ans. Son rĂšgne, exceptionnellement long (il meurt en 1566) correspond Ă  l’age d’or de l’Empire ottoman. Il est dĂ©peint comme un homme juste, sage, profondĂ©ment religieux et d’une grande valeur morale. Le vocable « Le Magnifique », que lui dĂ©cerne l’Occident ne s’applique pas seulement au faste de sa cour, et au rĂŽle primordial qu’il joue dans l’épanouissement artistique et culturel de son Ă©poque, mais au personnage lui-mĂȘme, Ă  sa noblesse de caractĂšre et Ă  ses extra-ordinaires qualitĂ©s d’homme et de chef d’Etat ; Sa lutte incessante contre Charles-Quint pour Ă©tablir sa suprĂ©matie sur la MĂ©diterranĂ©e et l’Europe de l’Est marquera tout le XVe siĂšcle. C’est ainsi que naĂźt la paradoxale alliance du roi trĂšs chrĂ©tien François Ier et du « Grand Seigneur » et que Français et Turcs participent Ă  huit campagnes navales communes dont le siĂšge de Nice en 1544-1545.






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Arrivée de Soliman au siÚge de Rhodes
(c) Arifi, SĂŒleymĂąnnĂąme, H 1517, 143 r°

 


Le départ des chevaliers de Rhodes et leur séjour à Villefranche

Le Ier janvier 1523, les Chevaliers accompagnés de quatre mille Rhodiens qui refusaient le joug turc embarquÚrent avec leurs archives, leurs reliques, leur trésor et leurs armes, à bord de trente vaisseaux dont la Santa Maria pour une longue errance. Il faisait, dit la chronique, un temps affreux.

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L’itinĂ©raire des chevaliers aprĂšs leur dĂ©part de Rhodes





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Entrée des chevaliers à Viterbe
A. Debay, Huile sur toile, Musée national des chateaux de Versailles et de Trianon

En quittant Rhodes, les Chevaliers firent d’abord voile vers la CrĂšte. Ils font escale Ă  Candie le 5 janvier 1523, le temps de se compter et de reconstituer leur flotte. De lĂ , ils font voile vers Messine, en Sardaigne, qu’ils atteignent le 30 avril, puis s’arrĂȘtent Ă  Baia le 22 juin et Ă  Civitavecchia, le 7 juillet. De lĂ , le grand maĂźtre Villiers de L’Isle Adam, demandera asile au pape ClĂ©ment VII, ancien hospitalier, qui installera provisoirement l’Ordre Ă  Viterbe (25 janvier 1524) tandis que ses galĂšres restaient Ă  Civitavecchia.

Dans une lettre du 25 dĂ©cembre 1523, ClĂ©ment VII supplie le duc de Savoie de recueillir et de rassembler les membres dispersĂ©s et errants de l’Ordre qui pourrait, de la sorte lutter efficacement contre les Musulmans. Le duc de Savoie, qui avait dĂ©jĂ  rendu de grands services aux Chevaliers de Rhodes, ne tarda pas Ă  leur ĂȘtre utile.

Il y avait alors, dans le port de Villefranche, Ă©crit Gioffredo, les deux caraques de l’Ordre, qui Ă©taient pourvues d’une trĂšs puissante artillerie. Charles Quint, le roi d’Angleterre, et Charles duc de Bourbon, devenu leur alliĂ©, avaient, dans le mĂȘme temps, rĂ©solu d’envahir la Provence. Dans le cours de juin 1524, pendant que le connĂ©table de Bourbon, Ă  la tĂȘte de 25.000 ImpĂ©riaux, arrivait dans les environs de Nice et s’arrĂȘtait Ă  Saint-Laurent-du-Var, la flotte impĂ©riale, commandĂ©e par Ugo de Moncada, Prieur de Messine, partait de GĂȘnes avec un important matĂ©riel de guerre et les munitions, et arrivait en sĂ»retĂ© dans le port de Monaco. De son cĂŽtĂ©, la flotte française, commandĂ©e par Antoine de La Fayette, celui-ci assistĂ© de AndrĂ© Doria, et composĂ©e de douze vaisseaux, dix galĂšres, quatre grandes caraques, avec plusieurs galĂ©ons et galiotes, vint occuper la rade de Villefranche.

Dans la crainte que ces coalisĂ©s, comme aussi François Ier, ne s’emparent des caraques de l’Ordre pour augmenter leur flotte , le pape, pour permettre Ă  l’Ordre de garder une stricte neutralitĂ©, avait dĂ©pĂȘchĂ© en toute hĂąte Ă  Villefranche Gonzalo Pimenta, Prieur du Portugal et Francesco Talis, Commandeur de la Vraie Croix, munis d’un bref demandant au duc de Savoie de dĂ©sarmer et de dĂ©mĂąter les deux caraques, et mĂȘme de les « abattre en carĂšne » afin de les rendre impropres Ă  la navigation. Les capitaines de ces vaisseaux, Poncetto DurrĂš et Pierre de Cardinas, le premier provençal, l’autre espagnol, exĂ©cutĂšrent ponctuellement ces prescriptions .

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Ludovic Del Pozzo, prieur de Pise et commandant de la marine de l’Ordre en 1520
Huile sur toile, fin XVIÚme - début XVIIÚme s., Nice, palais Lascaris.

En 1527, le chevalier Louis Del Pozzo, prieur de Pise, capitaine des galĂšres de la religion, dont plusieurs avaient Ă©tĂ© armĂ©es Ă  ses frais, partit de Rome, avec un sauf conduit du Pape, pour embarquer Ă  Civitavecchia la « caravane » des chevaliers venus de Viterbo oĂč se trouvait alors, comme on l’a vu, leur rĂ©sidence. LĂ  il reçu les instructions du Conseil de l’Ordre, qui lui enjoignit de naviguer vers l’üle de Monte-Cristo et de se diriger ensuite en droiture sur Villefranche. Il lui Ă©tait dĂ©fendu de se rendre Ă  Marseille, pour ne pas indisposer Charles Quint ou le roi de France.

La famille Del Pozzo (ou Dalpozzo comme l’indique une rue de Nice), originaire d’Alexandrie en PiĂ©mont, vint s’établir Ă  Nice vers la fin du XIVĂšme siĂšcle oĂč elle fit trĂšs vite fortune dans le commerce maritime. Leur fils, Paganino, devint cĂ©lĂšbre sous le rĂšgne d’AmĂ©dĂ©e II. C’est en effet lui qui proposa d’ouvrir une route Ă  travers les montagnes du comtĂ© pour le transport du sel en PiĂ©mont. C’était la route « paganine » ou « pagari ». Passant par Levens, Utelle, Lantosque et Saint-Martin, elle franchissait les Alpes au dessus de la Madone de FenĂȘtre par le « pas de pagari » (« Tant que Pagari pagara lou pas passara, quouro Pagari pagara plu lou pas passara plu », d’aprĂšs un dicton bien connu dans la vallĂ©e de la VĂ©subie). Dans la vallĂ©e de la Roya, les gorges de Saorge portent aussi le nom de gorges de Paganin. La famille Del Pozzo compta plusieurs chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers, tant dans la langue de Provence que dans la langue d’Italie : une autre toile du palais Lascaris reprĂ©sente Pierre Del Pozzo, commandeur d’Avignon, en 1475.


De Nice, il devait dĂ©pĂȘcher un Chevalier au Grand-MaĂźtre, alors en France, pour le supplier de venir s’embarquer Ă  Villefranche. Villiers de l’Isle-Adam se rendit Ă  cette invitation et prit la mer dans ce port, en emportant le trĂ©sor de la communautĂ©, qui se trouvait en Provence. Mais il lui fut impossible de dĂ©barquer sur les cĂŽtes italiennes, ravagĂ©e par la peste. Alors en 1527, le Grand-MaĂźtre envoya Hercule de None comme ambassadeur auprĂšs du duc de Savoie pour lui demander que l’Ordre ait sa rĂ©sidence Ă  Villefranche et Ă  Nice, jusqu’à ce que l’üle de Rhodes lui soit restituĂ©e. Le dĂ©sir des Chevaliers, ajoutait-il, Ă©tait d’armer le plus grand nombre de galĂšres et de vaisseaux, pour lutter contre les corsaires musulmans qui, avec leurs galiotes et leurs bateaux, ne cessaient d’inquiĂ©ter la cĂŽte. A cet effet, il demandait qu’il soit fourni Ă  l’Ordre, pour le service des galĂšres, un certain nombre de forçats condamnĂ©s dans les Etats de Savoie. Il s’engageait en outre Ă  observer la neutralitĂ© avec les puissances. Le duc de Savoie souscrivit volontiers Ă  toutes ces demandes : il concĂ©da mĂȘme, en ce qui concernait les achats de denrĂ©es et de marchandises, des franchises analogues Ă  celles des habitants, avec exemption de toutes redevances ; il exprima le dĂ©sir que le chevalier HonorĂ© Chiabaudo de Tourrettes fut chargĂ© de l’administration de la justice sur les membres de l’Ordre.

A la suite de cette autorisation, le 8 octobre 1527, Villiers de l’Isle-Adam dĂ©barqua Ă  Villefranche et habita avec sa famille une ancienne forteresse situĂ©e au sommet du village, vers l’emplacement occupĂ© en son temps par des capucins. Les chevaliers et les autres membres de la communautĂ© logĂšrent dans la ville. Leur prĂ©sence, les vaisseaux qu’ils firent construire, le mouvement qui s’ensuivit, tout contribua Ă  donner au port un grand dĂ©veloppement.

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A l’angle Nord-Est de la muraille qui enfermait la citĂ© de Villefranche, fut Ă©difiĂ©, au tout dĂ©but du XIVe siĂšcle, un petit fort bastionnĂ© dont il ne reste aujourd’hui qu’une petite partie. SituĂ© prĂšs du couvent des Capucins, ce fort aurait pu accueillir Philippe Villiers de l’Isle-Adam Ă  son arrivĂ©e Ă  Villefranche.

 

Le 14 novembre, le Grand-MaĂźtre quitta la forteresse de Villefranche et s’établit Ă  Nice prĂ©s du puits de MascoĂŻnat.

Le 22 novembre de la mĂȘme annĂ©e, le Grand MaĂźtre apprend Ă  Villefranche que de Lautrech, son grand ami, s’était emparĂ© de Pavie ; il lui envoie son sĂ©nĂ©chal, le rĂ©vĂ©rend Pierre du Pont, pour le prier de faire restituer « à la religion » l’artillerie que le duc de Bourbon avait prise Ă  une caraque de l’Ordre (qui se trouvait mouillĂ©e Ă  Villefranche) et laissĂ©e Ă  Pavie. De Lautrech restitua les canons.

A la fin de ce mois, Villiers avise les princes chrĂ©tiens de son installation et invite les Hospitaliers Ă  le rejoindre Ă  Nice, oĂč ils arrivent tous les jours.

Pendant ce temps, la flotte de l’Ordre demeurait dans la Rade de Villefranche. Elle comprenait alors cinq galĂšres ordinaires, dont trois de Rhodes et deux nouvelles construites Ă  Villefranche et dĂ©nommĂ©es « Saint Jacques » et « Saint Philippe », deux caraques, un galion, le vaisseau « Marietta » de Rhodes, celui d’Antoine Bonaldi, avec trois barques et deux brigantins, sept cent soldats, presque tous Gascons. La prĂ©sence de cette puissante flotte dans les eaux de Savoie eut comme consĂ©quence immĂ©diate de presser le duc Charles III Ă  mettre un certain nombre de galĂšres Ă  Villefranche. Pour faire face Ă  leurs constructions, ainsi qu’à leur entretien, il obtint du Pape ClĂ©ment VII (par sa bulle du 7 fĂ©vrier 1328), le droit de percevoir, pendant le dĂ©lai de dix annĂ©es, un ducat d’or pour cent, sur la valeur de toutes les marchandises dĂ©barquĂ©es Ă  Nice ou Ă  Villefranche.

La flotte de l’Ordre fut trĂšs utile au pays. Non seulement elle tenait Ă©loignĂ©s des cĂŽtes les pirates africains mais, pendant la disette de 1528, elle fournit constamment des secours aux habitants affamĂ©s. Les navires ne restĂšrent pas inactifs dans la rade. Par ordre du Grand MaĂźtre, la caraque ancienne allait Ă  Oran pour prendre des chargements de blĂ©. La caraque neuve, sous la direction de ThĂ©odore Saluzzo, allait en Sicile, et revenait avec des vivres.

L’Ordre Ă©tait sous l’autoritĂ© d’une seule puissance, le Saint SiĂšge. Le Pape avait requis ses galĂšres, pour conduire en Angleterre son lĂ©gat, le cardinal Campeggio. Au retour de ce voyage, Gimel, commandant des galĂšres, rencontra sur la cĂŽte de Marseille une galiote turque dont il s’empara et qu’il conduisit triomphalement Ă  Villefranche. Le chef musulman qui la commandait fut pendu au grand mĂąt de la caraque « Sainte Anne », afin de servir d’exemple. La chiourme des cinq galĂšres de l’Ordre fut renforcĂ©e de 95 esclaves, pris parmi les prisonniers turcs et maures et la libertĂ© fut donnĂ©e Ă  150 chrĂ©tiens.

Cependant, il Ă©tait important, pour les Chevaliers, de reconstituer leur puissance, telle qu’ils l’avaient eue Ă  Rhodes. Charles-Quint, prĂ©voyant le parti qu’il pouvait tirer de leur organisation, au cas surtout oĂč il entrerait en lutte avec les Musulmans, leur donna l’üle de Malte et la principautĂ© de Tripoli en toute propriĂ©tĂ©. Les Chevaliers de Rhodes, qui vont maintenant devenir les Chevaliers de Malte, aprĂšs avoir sĂ©journĂ©, pendant prĂšs de deux annĂ©es, dans les Etats du duc de Savoie Ă  Villefranche et Ă  Nice, transfĂ©reront dĂ©finitivement Ă  Malte la Compagnie entiĂšre de l’Ordre. Selon la dĂ©cision du Grand MaĂźtre et du Conseil, le dĂ©part fut d’abord donnĂ© Ă  quatre galĂšres, qui quittĂšrent Nice le 18 juin, sous la direction du marĂ©chal Gabriel du Chief. Tous les soldats et les habitants de Rhodes s’embarquĂšrent Ă  Villefranche, sur les caraques et les autres navires. Dans la matinĂ©e du 12 juillet, en prĂ©sence de Nicod de Beaufort, gouverneur du duc de Savoie, et des syndics de Nice, les Chevaliers et le Grand MaĂźtre assistĂšrent Ă  une messe solennelle, devant l’image de la Vierge de Filermo, que l’Ordre avait rapportĂ© de Rhodes, et dont ils laissĂšrent un retable, dans l’église de la Commanderie de Nice (aujourd’hui dans l’église Saint BarthĂ©lĂ©my Ă  Nice).

Le Grand MaĂźtre se rendit ensuite Ă  la plage de Nice et, aprĂšs avoir exprimĂ© toute sa gratitude aux reprĂ©sentants du duc de Savoie pour les Ă©gards que Nice et Villefranche avaient eus envers l’Ordre, il s’embarqua sur la cinquiĂšme galĂšre qui, sous la direction du Commandeur Bault de Luynes, se dirigea vers Villefranche. LĂ  prirent la mer, sur la caraque neuve, les Chevaliers du Conseil et, le 18 juillet, jour de dimanche, les ancres furent levĂ©es. La flotte se dirigea vers la Sicile et arriva, aprĂšs une heureuse traversĂ©e, Ă  l’üle de Malte, le 26 octobre : « con universale allegrezza di tutti giunsero a salvamento in Malta, mercoledi mattino a venti sei del mese di ottobre, dell’anno sopradotto mille cinquecento, e trenta a due hore di Sole »

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Philippe Villiers de l’Isle Adam prend possession de l’üle de Malte, le 26 octobre 1530
R. Berthon, Huile sur toile, 1839, Musée national des chùteaux de Versailles et de Trianon, salle des croisades, inv. MV.

 


La légende de Catherine Ségurane revisitée

Tout le XVI° siĂšcle sera marquĂ© par la lutte qui oppose la France Ă  l’Espagne. MalgrĂ© la trĂȘve de dix ans signĂ©e en 1538 au congrĂšs de Nice entre Charles-Quint et François Ier, les hostilitĂ©s ne tarderont pas Ă  reprendre entre l’empereur et le roi de France. Ce dernier s’allie Ă  Soliman le Magnifique. En juin 1543, une imposante flotte de galĂšres franco-turques, emmenĂ©es par le cĂ©lĂšbre corsaire Barberousse, met le siĂšge devant Nice. La ville se rendit au troisiĂšme assaut, le 22 aoĂ»t 1543, aprĂšs une hĂ©roĂŻque rĂ©sistance. Le chĂąteau, lui, tiendra jusqu’à la retraite des forces ennemies et ne sera jamais pris.

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Monument à Catherine Ségurane

Plus qu’à l’annonce de l’arrivĂ©e imminente de renforts espagnols et savoyards et surtout aux querelles de commandement entre les Français et les Turcs, les Niçois attribuent ce retrait de la flotte barbaresque Ă  l’hĂ©roĂŻque rĂ©sistance de ses dĂ©fenseurs et tout particuliĂšrement de la cĂ©lĂšbre mais lĂ©gendaire Catherine SĂ©gurane dont ils honorent aujourd’hui encore la mĂ©moire. Mais c’est aussi grĂące Ă  leur chef, Paul Simeon de Balbs de Quiers, chevalier de l’ordre des Hospitaliers, que le chĂąteau tiendra bon. Son histoire mĂ©rite d’ĂȘtre reprise ici, tant elle est significative de la foi et de la tĂ©nacitĂ© qui habitaient les chevaliers de Saint-Jean de JĂ©rusalem dans leur lutte incessante contre les « infidĂšles ».

Parmi les Ăźles du DodĂ©canĂšse, la plus septentrionale des Ăźles du domaine des Hospitaliers Ă©tait celle de Leros « dont le gouverneur Ă©toit en 1506, raconte l’abbĂ© de Vertot, un ancien chevalier de la Langue d’Italie qui, Ă©tant alors malade Ă  l’extrĂ©mitĂ©, laissa le soin de la dĂ©fense Ă  un jeune chevalier piĂ©montais Ă  peine ĂągĂ© de dix-huit ans, appelĂ© Paul Simeoni... ». Le sultan BayĂ©zid ayant dĂ©cidĂ© de razzier les Ăźles de la religion, le corsaire Camali dĂ©barque Ă  Leros 500 Turcs qui battent les murailles avec du canon et, finalement, y pratiquent une brĂšche par laquelle ils s’apprĂȘtent Ă  donner l’assaut. Sans s’affoler, malgrĂ© son jeune Ăąge, Simeoni rassemble tous ceux qui s’étaient rĂ©fugiĂ©s au chĂąteau, « mĂȘme leurs femmes » - dĂ©jĂ , pourrions-nous ajouter -, les fait monter au rempart revĂȘtus de la tenue de combat des chevaliers : la cotte d’armes rouge Ă  manches courtes, barrĂ©e sur la poitrine et dans le dos d’une grande croix blanche. A leur vue, stupeur des Turcs qui, s’imaginant qu’un secours est arrivĂ© durant la nuit, dĂ©campent prĂ©cipitamment et se rembarquent de peur d’ĂȘtre pris au piĂšge par les galĂšres de Rhodes.

Vingt-six ans plus tard, Simeoni sera fait prisonnier par Barberousse et enfermĂ© au bagne de Tunis avec 6.000 autres captifs chrĂ©tiens - 12.000, selon d’autres sources. En 1435, Charles-Quint dĂ©cide d’attaquer Tunis. Il rassemble une armada de quatre cents navires, vingt-six mille fantassins et deux mille chevaux, et s’embarque Ă  Barcelone le 2 juin 1535 pour arriver le 14 devant Tunis. AprĂšs s’ĂȘtre emparĂ© du fort de La Goulette et le dĂ©part de Barberousse, il met le siĂšge devant Tunis. C’est alors que Simeoni, ayant organisĂ© la rĂ©volte des prisonniers, rĂ©ussira Ă  se faire ouvrir les portes du bagne et se rendra maĂźtre de la citadelle, non sans avoir hissĂ© sur les remparts la banniĂšre de l’Ordre, paralysant ainsi la dĂ©fense et prĂ©cipitant la reddition de la ville. Charles-Quint lui en saura grĂ©, qui le fĂ©licitera en ces termes : « Messire chevalier et ami, je vous rends grĂąces de la courageuse rĂ©solution qui vous a amenĂ© Ă  rompre vos chaĂźnes, ce qui a rendu ma victoire plus facile et augmentĂ© la gloire de l’Ordre. »

Toutes ces actions d’éclat valent Ă  Paul SimĂ©on d’accĂ©der Ă  la dignitĂ© de grand prieur de Lombardie.

Sept ans plus tard encore, s’étant mis « en congĂ© de la Religion », il se met au service de son suzerain naturel, le duc de Savoie, qui lui confie, le 7 aoĂ»t 1543, et contre le mĂȘme Barberousse, la dĂ©fense du chĂąteau de Nice. Nul doute qu’il y employa la mĂȘme ruse qu’à Leros, en faisant monter sur les remparts du chĂąteau tous les hommes qui s’y Ă©taient rĂ©fugiĂ©s et « mĂȘme leurs femmes », dont une certaine Catherine SĂ©gurane....

 

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SiĂšge de Nice, en 1543
Dessin Ă  la plume de Toselli, d’aprĂšs la gravure d’Aeneas Vico, conservĂ©e Ă  la BibliothĂšque royale de Turin. Nice, Archives municipales

 

Il faudra attendre plus d’un an pour que la paix soit rĂ©tablie. AprĂšs la signature du TraitĂ© de Cagnes, le 16 novembre 1544, par lequel le roi de France renonce dĂ©finitivement au comtĂ© de Nice, l’acte de restitution des terres occupĂ©es par les Français est ratifiĂ© le 6 dĂ©cembre 1544 par Paul SimĂ©on et Odinet de Montfort, « Gouverneur de Nice et toutes les Terres Neuves ». Disposant alors de financements, Paul SimĂ©on entreprend de faire rĂ©parer et consolider les fortifications du chĂąteau : Gioffredo Ă©crit qu’en 1548, « on atteignit Ă  la perfection des fortifications commencĂ©es de nombreuses annĂ©es auparavant... » et une plaque de marbre, datĂ©e du 13 novembre 1548, cĂ©lĂ©bra la fin des travaux de dĂ©fense du chĂąteau et de la ville haute. Travaux qu’il fallut cependant reprendre deux ans plus tard, en raison des progrĂšs continuels de l’artillerie. Ce sera, comme nous l’apprend une Ă©tude rĂ©cente de Mara de Candido, la tĂąche de l’ingĂ©nieur Gianmaria Olgiati qui aboutira Ă  la rĂ©alisation d’une « chaĂźne de fortifications » englobant, outre le chĂąteau de Nice, la citadelle de Villefranche, le fort du Mont-Alban et celui de Saint-Hospice.


Un grand maütre niçois de l’Ordre de Malte : Jean-Paul Lascaris

Parmi les plus cĂ©lĂšbres chevaliers niçois de l’Ordre, devenu Ordre de Malte, figure bien sĂ»r Jean-Paul Lascaris, 57Ăšme grand maĂźtre, de 1536 Ă  1657.

La famille Lascaris-Vintimille constituait une des plus illustres familles de la noblesse niçoise, descendant en ligne masculine des comtes de Vintimille. Guillaume-Pierre de Vintimille , ambassadeur de la RĂ©publique de GĂȘnes Ă  Constantinople, Ă©pousa en 1261 la princesse Eudoxie Lascaris, la plus jeune des filles de l’Empereur ThĂ©odore II Lascaris de NicĂ©e, dont la fils Jean IV fut dĂ©chu par la nouvelle dynastie des PalĂ©ologue.

Les descendants de Guillaume-Pierre et d’Eudoxie Lascaris, en particulier les comtes de Tende et seigneurs de la Brigue, relevĂšrent le nom et les armes des Lascaris. Jean-Paul Lascaris appartenait Ă  la branche des seigneurs de Castellar, issue d’un frĂšre de Guillaume-Pierre. L’un de ses aĂŻeux Ă©pousa Hilaria Lascaris, des seigneurs de la Brigue et adopta Ă  son tour le nom et les armes des Lascaris.

Jean-Paul Lascaris, fils de Jeannet, coseigneur de Castellar et de sa cousine Francisquette, fille d’Augustin Lascaris, serait nĂ© le 28 juin 1560 Ă  Nice ou bien, selon Toselli, Ă  Castellar. Suivant l’exemple familial, il fut admis, en 1584, dans l’Ordre de Malte oĂč deux de ses parents s’étaient dĂ©jĂ  illustrĂ©s : François Lascaris-Vintmille, de la Langue d’Italie obtint pour celle-ci la prĂ©rogative du commandement des galĂšres de l’Ordre, en 1524. Son oncle, HonorĂ© Lascaris, fut commandeur de Nice puis gouverneur de l’üle de Gozo oĂč il mourut en 1639. Ce sont en tout une trentaine de Lascaris qui, du XVIe au XVIIIe siĂšcle entrĂšrent dans l’Ordre de Malte, presque tous issus des branches de Castellar et de la Brigue.

Jean-Paul Lascaris, dĂ©crit comme intelligent et austĂšre, nourri de bonnes Ă©tudes et de zĂšle religieux, fut tout d’abord prĂ©posĂ© Ă  l’administration des grains. Par la suite il fut prieur de Saint-Gilles et bailli de Manosque dans la Langue de Provence. A la mort du grand maĂźtre Antoine de Paule, le 11 juin 1636, il aspira Ă  le remplacer et, le 13 juin , il fut Ă©lu 57Ăšme grand-maĂźtre de l’Ordre.

 

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FrĂ  Jean-Paul Lascaris
Huile sur toile. Copie rĂ©alisĂ©e par Godwin Cutajar (2000) pour le palais Lascaris Ă  Nice, d’aprĂšs le protrait original du palais magistral de La Valette

 

Jean-Paul Lascaris est restĂ© fort peu populaire dans la mĂ©moire maltaise. Il a laissĂ© le souvenir d’un souverain contrariant et entĂȘtĂ© ainsi que la lĂ©gende d’un personnage peu sympathique, exprimĂ©e encore de nos jours par le dicton populaire « vicc Lascaris » qui qualifie une physionomie peu avenante. Mais son magistĂšre fut l’un des plus importants qu’ait connu l’Ordre pendant sa rĂ©sidence Ă  Malte, ne serait-ce que par sa durĂ©e de 21 ans. En particulier, il poursuivit mĂ©ticuleusement l’Ɠuvre de ses prĂ©dĂ©cesseurs en complĂ©tant la formidable ceinture de fortifications autour de La Valette et du grand port.

Le grand maĂźtre Lascaris n’oublia pas sa patrie niçoise. En 1639 il acheta pour 18000 Ă©cus les moulins et fours appartenant Ă  la commune de LucĂ©ram et en dota une nouvelle commanderie de « jus patronat », dite de Saint-Marguerite de LucĂ©ram. Jusqu’en 1738, ses petits-neveux et arriĂšre-petits-neveux, propriĂ©taires du palais familial de la rue Droite, Ă  Nice, furent les titulaires et usufruitiers de cette commanderie. En 1642, il envoya Ă  la cathĂ©drale Sainte-RĂ©parate, par les soins de son neveu le marĂ©chal de camp Jean-Baptiste Lascaris, les reliques d’un Saint-Vincent Martyr, enfermĂ©es dans une chasse d’ébĂšne et d’argent. L’église paroissiale de Castellar et d’autres membres de sa famille bĂ©nĂ©ficiĂšrent Ă©galement de ses libĂ©ralitĂ©s.

AprĂšs sa mort, survenue le 14 aoĂ»t 1657, son mausolĂ©e de l’église Saint-Jean-Baptiste, de La Valette, lui fut Ă©levĂ© par des chevaliers issus de sa parentĂ©.

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Mausolée de Jean-Paul Lascaris




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